Le chemin cahoteux de la stabilité financière
Par José Viñals
"iMFdirect" Le 09 octobre 2013Le système financier mondial devra passer par plusieurs phases de transition cruciales avant de retrouver plus de stabilité. Ces transitions seront ardues, car elles s’accompagnent de risques non négligeables.
De quelles transitions s’agit-il?
• La première aura lieu aux États-Unis où, après une longue période de politique monétaire accommodante, il faudra normaliser la situation. Cela va-t-il se passer en douceur ou par à-coups?
• En second lieu, les pays émergents vont devoir s’adapter à une conjoncture extérieure plus volatile accompagnée d’une hausse des primes de risque. Que faut-il faire pour préserver la résilience des marchés émergents?
• Troisièmement, la zone euro est en passe de devenir une union plus forte dotée de systèmes financiers plus solides. Notre rapport s’intéresse tout particulièrement aux liens étroits entre les entreprises et le secteur bancaire. Quelles répercussions le surendettement des entreprises a-t-il sur la santé des banques?
• Quatrième cas, celui du Japon, qui entre dans l’ère de «l’Abénomie». Les enjeux sont élevés. La stratégie économique sera-t-elle suffisamment exhaustive pour garantir la stabilité?
• Et enfin, il y a la transition qui doit donner le jour à un système financier plus solide, chantier sur lequel il reste beaucoup à faire.
La normalisation de la politique monétaire aux États-Unis et ses répercussions mondiales
La normalisation de la politique monétaire va-t-elle s’opérer en douceur? Il s’agit là d’un processus sans précédent et fort complexe. Les taux d’intérêt à long terme pourraient dévisser. Il s’est d’ores et déjà révélé difficile de contenir la volatilité des taux à long terme et des marchés, puisque les rendements obligataires sont montés en flèche et la volatilité s’est accrue depuis le mois de mai. La diminution des liquidités et la surenchère obligataire pourraient amplifier ces risques.
La hausse des taux d’intérêt pourrait aussi faire apparaître des maillons faibles au sein du système bancaire parallèle, ce qui exacerberait les tensions sur les marchés et sur le plan des liquidités.
Un exemple est celui des fiducies de placement immobilier hypothécaire. Comme les sociétés et circuits de placements structurés d’avant la crise, les sociétés de placement hypothécaire sont très endettées et risquent gros si leurs créanciers prennent peur. Elles peuvent être forcées de vendre leurs actifs dans l’urgence, semant sur le marché des titres adossés à des prêts hypothécaires une perturbation qui pourrait s’étendre à l’ensemble des marchés d’actifs financiers.
Pour que la normalisation s’opère sans heurt, il faudra que la Réserve fédérale déploie une stratégie de communication claire et bien planifiée, en phase avec l’évolution économique. Il est essentiel d’améliorer la surveillance macroprudentielle et la transparence du système bancaire parallèle pour préserver la stabilité financière. Cela permettra à la Fed de concentrer ses efforts sur une transition en douceur.
Pays émergents
Que va-t-il se passer lors du reflux des capitaux hors des pays émergents? Depuis la faillite de Lehman Brothers, les flux de placements obligataires à destination des pays émergents ont grossi de plus de 1.000 milliards de dollars. Cela les situe près de 500 milliards de dollars au-dessus de la tendance à long terme, d’où une poussée sans précédent des emprunts des entreprises des pays émergents.
L’évolution observée depuis mai dernier est porteuse de nouveaux risques pour la stabilité financière. Les investisseurs étrangers jouent un rôle plus prépondérant sur les marchés locaux de la dette. Mais le marché a perdu de sa liquidité ces dernières années, de sorte que les taux d’intérêt locaux sont plus sensibles aux changements d’appréciation des investisseurs. Parallèlement, les bilans des entreprises se sont affaiblis, les vulnérabilités financières augmentent et la croissance économique se ralentit. Cela expose ces pays à des tensions plus vives des marchés.
Si les sorties de capitaux prennent de l’ampleur, il faudra prendre des mesures pour assurer le fonctionnement ordonné des marchés et faciliter l’ajustement sans heurt des portefeuilles. Pour préserver la résilience des marchés émergents, il faut aussi que les pays remédient à leurs vulnérabilités internes et améliorent la crédibilité de la politique gouvernementale.
Zone euro
L’Europe reste confrontée à des enjeux majeurs. Les mesures adoptées au plan régional et au niveau national ont permis de réduire les difficultés de financement des pays et établissements bancaires les plus faibles, mais la distribution du crédit est encore entravée par la fragmentation financière.
Le Rapport sur la stabilité financière dans le monde montre aussi qu’une fraction importante de la dette des entreprises des pays en difficulté est maintenant le fait de sociétés qui n’ont guère les moyens d’en assurer le service. C’est la définition même du surendettement. D’après nos estimations, même si l’on remédie à la fragmentation financière, il restera un surendettement persistant, représentant près d’un cinquième du total de la dette des entreprises italiennes, portugaises et espagnoles.
Ce surendettement affecte le secteur bancaire, qui perd de l’argent sur les prêts accordés aux entreprises. Certains établissements vont devoir accroître leurs provisions pour pertes. Cela pourrait engloutir une large part des futurs bénéfices de banques et dans certains cas, rogner leurs fonds propres.
Un certain nombre de mesures sont nécessaires pour remédier à la faiblesse héréditaire des bilans des entreprises et des banques de la zone euro. Il faut un remède plus radical au surendettement des entreprises. Cela peut nécessiter un toilettage des bilans, une amélioration des procédures de faillite ou la création de sociétés de gestion d’actifs spécialisées dans la restructuration des créances.
Pour ce qui est des banques, l’évaluation des bilans et les tests de résistance planifiés par les autorités européennes sont l’occasion ou jamais de procéder à l’évaluation exhaustive et transparente de la qualité des actifs bancaires et d’identifier les cas de sous-capitalisation. Il faut cependant mettre en place un système de sécurité crédible avant que cet exercice soit parachevé afin de suppléer aux manques de fonds propres décelés si les capitaux privés sont insuffisants. L’assainissement des bilans des banques doit aller de pair avec des avancées concrètes dans la voie de l’union bancaire.
Japon
Tandis que les États-Unis envisagent une normalisation de la politique monétaire, le Japon intensifie ses efforts de relance monétaire dans le cadre de l’Abénomie. Il faudra que les gouvernants japonais veillent à ce que l’ensemble du plan de relance soit mis en œuvre, car la non-réalisation des réformes budgétaires et structurelles planifiées risquerait de rallumer la déflation et d’intensifier les risques d’instabilité financière.
Vers un système financier mondial plus solide
Enfin, bien que les choses progressent, nous n’avons pas encore réalisé la totalité de notre programme de réformes de la régulation financière et il nous faut appliquer systématiquement les nouvelles règles à tous les pays et en améliorer la supervision. Notre tâche n’est pas terminée. Il reste beaucoup de travail à faire pour rendre le système financier mondial plus solide.
Si les différents défis que j’ai passés en revue sont relevés comme il convient, nous devrions réussir le passage à une nouvelle ère de stabilité financière accrue, qui donnerait une assise plus ferme à la croissance économique.
Nous sommes en chemin. Notre route est toute tracée. Et maintenant, à nos dirigeants de négocier soigneusement les creux et les bosses — pour nous amener sains et saufs à notre destination.